La guerre d’Ukraine, qui se déroule aux portes de l’Europe, masque une autre forme de guerre qui s’est largement répandue ces dernières décennies depuis la guerre d’Indochine et la guerre d’Algérie jusqu’à l’opération Barkhane en passant par la guerre d’Afghanistan ou la guerre d’Irak, à savoir une guerre sans front central, qui se déroule au contraire contre un ennemi dissimulé dans les populations civiles ; des guerres dont l’enjeu est moins de vaincre l’ennemi que de « gagner les cœurs et les esprits ». Mais est-il possible comme disait le général de Gaulle à la fois « manier la mitraillette, monter en chaire et donner le biberon » ?
S’y intéresser est une obligation politique et civique car non seulement ces guerres sont menées en notre nom mais aussi parce que nombre de civils y participent à travers les ONG voire la coopération institutionnelle. D’où l’intérêt de saisir la continuité entre des guerres coloniales lointaines pour nombre d’entre nous (comme la guerre d’Algérie mais dont les effets se font encore sentir) et d’autres très contemporaines comme la guerre au Sahel comme l’opération Barkhane. Notre vie politique se concentre sur des enjeux internes sans toujours voir que la politique de notre pays se déploie également sur le plan mondial, sans que nous en comprenions véritablement les tenants et les aboutissants.
C’est donc cette réflexion que propose Esprit de justice en compagnie deux chercheurs et d'un journaliste : Jeremy Rubenstein, Docteur en histoire contemporaine de l’université de Panthéon-Sorbonne, spécialiste de l’Argentine et de la violence politique, qui vient de publier Terreur et séduction. Une histoire de la « guerre révolutionnaire », La découverte, 2022); Michel Goya, Officier des troupes de marine, qui a mené une double carrière à la fois opérationnelle et de chercheur, qui a publié de nombreux ouvrages parmi lesquels Irak. Les armées du chaos, Économica, préface du général Vincent Desportes, et qui vient de publier chez Taillandier La guerre mondiale de la France. De 1961 à nos jours ; et Rémi Carayol, journaliste spécialisé dans les affaires sahéliennes, auteur de Le mirage sahélien. La France en guerre en Afrique. Serval, Barkhane, et après ? (La découverte, janvier 2023).
Jérémy Rubenstein "La contre insurrection peut se définir comme une opération d'ingénierie sociale qui vise à ne plus laisser prise dans la société au "subversif", pour que celui-ci ne puisse plus y prospérer. Et on va donc déployer tout un arsenal multidimensionnel, c'est-à-dire à la fois militaire, policier, juridique et culturel."
Michel Goya "Après la guerre d'Algérie, d'ailleurs, la guerre d'insurrection est refoulée et le General de Gaulle purge très largement l'armée de tous ses anciens pour diverses raisons. Dans les discours, la contre insurrection, c'est terminé. Même si on va quand même en faire, comme l'intervention au Tchad de 1969 à 1972."
Rémi Carayol "[En 2014 avec l'arrivée de François Hollande à Bamako], il y avait une espèce d'euphorie. Selon moi parce que l'on sait que le Mali est un pays jaloux de sa souveraineté, ce qui a pu expliquer cette parenthèse enchantée entre entre la France et le Mali. Mais on voit qu'au fil du temps, ça s'est amenuisé pour aboutir à ce que l'on connaît aujourd'hui, c'est à dire un désaveu, une critique très dure vis-à-vis de l'opération Barkhane."
Pour aller plus loin
>> Michel Goya
>> Rémi Carayol
>> Jeremy Rubenstein
Extraits musicaux