C’est la première fois qu’un tel sommet se déroule dans l’un des 6 pays concernés, sur le sol des Balkans, en dehors des frontières de l’Union Européenne.
Au moins le symbole est-il présent. Mais s’il n’est pas suivi de faits concrets, l’amertume n’en sera que plus grande dans la région.
Et la frustration est déjà forte, accrue par le fait que l’Europe a accordé cet été de façon accélérée le statut de candidat à l’Ukraine et à la Moldavie.
Cette décision se comprend évidemment, mais ces pays des Balkans, ravagés par les guerres dans les années 90, ont la sensation d’être les dindons de la farce. Ils ne le disent pas officiellement parce que ce n’est pas politiquement correct, mais ils n’en pensent pas moins.
Ca s’entend.
Quatre de ces 6 pays sont candidats depuis longtemps : 17 ans pour la Macédoine du Nord, 12 ans pour le Monténégro, 10 ans pour la Serbie, 8 ans pour l’Albanie.
Deux autres espèrent obtenir le statut de candidat : la Bosnie et le Kosovo.
Et tous ont la sensation de se faire doubler par l’Ukraine. La sensation que l’Europe les mène en bateau.
Ils le reconnaissent volontiers : tout n’est pas parfait, ils ne répondent sans doute pas encore à tous les critères, sur l’État de droit, la lutte contre la corruption ou la liberté de la presse.
Mais comme le glisse le premier ministre albanais, « nous faisons des efforts et parfois on a l’impression que personne ne nous répond ».
Un ancien haut diplomate français ajoute : « en termes de corruption franchement, l’Ukraine c’est bien pire que plusieurs de ces pays des Balkans ».
Les hésitations de Paris
Cette hésitation des 27 s'explique en bonne partie par leurs désaccords internes sur le sujet.
L’Allemagne est, de longue date, la plus allante. La plus favorable à cet élargissement de l’Europe aux Balkans.
Le chancelier Olaf Scholz l’a répété cet été : « le centre de gravité de l’Europe se déplace vers l’Est ». Berlin juge indispensable d’avancer sur les Balkans.
Et par exemple d’accorder dès ce mois-ci, le statut de candidat à la Bosnie.
En face, la France a longtemps bloqué, très réticente à l’idée d’un nouvel élargissement.
Puis la position de Paris a évolué ces derniers mois.
La secrétaire d’État aux affaires européennes Laurence Boone vient d’ailleurs d’effectuer une tournée dans la région, et Emmanuel Macron sera donc lui aussi du voyage demain.
Cela dit, les pays des Balkans restent sur leurs gardes vis-à-vis de la France.
D’autant que les signaux envoyés par Paris sont fluctuants.
Par exemple sur la Serbie, un diplomate français nous dit : « il faut arrimer la Serbie à l’Europe ». Mais un autre lâche : « La Serbie c’est le cheval de Troie de Moscou en Europe ». Il faudrait se décider.
En fait, le mot qui revient comme un refrain à propos des Balkans, c’est toujours : « c’est compliqué ».
Certes, mais dire ça ne fait pas avancer le schmilblick.
Alors que faut-il attendre demain ? Pas nécessairement de grandes annonces sur l’adhésion : plutôt un package européen d’aides financières face à la crise énergétique, ou une coopération sur les questions cyber et numériques.
La concurrence de la Russie et de la Chine
Le souci pour l’Europe, c’est qu’elle est loin d’être le seul acteur dans la région.
C'est le risque à trop trainer. Non seulement créer de l’amertume, mais surtout laisser les concurrents occuper la place.
La Russie en premier lieu. « Ce n’est pas un acteur constructif dans la région », pour reprendre la formule polie d’une chancellerie européenne, qui ajoute : la Russie cherche à attiser les fractures dans les Balkans, en particulier en Serbie et en Bosnie, où les tensions inter communautaires restent fortes.
Plusieurs entreprises russes, comme Yandex ou Russia Today, développent leurs implantations en Serbie.
Le pays dépend beaucoup du gaz russe, accueille des dizaines de milliers de russes et refuse d’appliquer les sanctions européennes contre Moscou.
Autre acteur, la Chine, qui comme souvent joue du carnet de chèques. En finançant des infrastructures : des autoroutes (au Monténégro, en Serbie) ou des aéroports (en Albanie).
Mais le prix à payer, c’est l’endettement, la perte d’indépendance économique.
Enfin, troisième acteur, la Turquie qui joue surtout de son influence culturelle et religieuse auprès des musulmans en Albanie, au Kosovo, en Bosnie.
Tout ça fait beaucoup de monde sur les rangs.
Que l’Europe hésite peut se comprendre : un nouvel élargissement pourrait rendre l’union ingouvernable.
Mais elle doit faire des gestes concrets envers les pays qui avancent le plus, le Macédoine du Nord, le Monténégro, l’Albanie. Sinon ils trouveront des bras plus accueillants.
Surtout, surtout ne pas désespérer les Balkans.