On peut faire dans l’incantation pleine de bons sentiments. Marteler que la Ghouta vit depuis 8 jours « l’enfer sur Terre ». C’est la formule employée par le secrétaire général de l’ONU.
Relever que les armes les plus épouvantables, y compris chimiques, sont probablement utilisées contre la population civile. Et pointer du doigt les responsabilités d’Assad et de Poutine.
Tout cela est probablement vrai.
Mais l’indignation ne suffit pas. Pour y comprendre quelque chose, regardons comment raisonne Moscou dans cette affaire.
Poutine a ses raisons, et elles ne sont pas toutes mauvaises.
La première motivation, et les pays occidentaux la partage, c’est de lutter contre le terrorisme et les islamistes sunnites. La Russie y est d’autant plus sensible que, vous le savez, cet extrémisme prospère à ses portes, dans le Caucase ou en Asie Centrale.
En l’occurrence, Moscou affirme, non sans raison, que la Ghouta abrite, non seulement des centaines de milliers de civils, mais aussi plusieurs groupes islamistes radicaux.
Jaych al Islam ou Hayat Tahrir Al Cham, anciennement lié à Al Qaida, des groupes qui refusent de quitter la Ghouta sans une garantie d’impunité.
Deuxième objectif, et là encore les Européens sont d’accord: protéger les chrétiens d’Orient, en particulier ceux qui vivent à Damas, et qui sont régulièrement visés par ces groupes islamistes.
Enfin la troisième préoccupation c’est l’ordre. Le président russe, on l’a compris, aime bien les situations simples où pas un cheveu ne dépasse.
En termes officiels, ça s’appelle pompeusement « sauvegarder l’intégrité de l’Etat syrien ».
Un pays, un Etat, un dirigeant. Une Russie, un Poutine. Une Syrie, un Assad.
Une victoire militaire indiscutable
Tout ça, c’est évidemment surtout le règne de la force, mais dans une guerre, pardons de le dire crûment, c’est ce qui compte.
Et en Syrie, la Russie a gagné, en tous cas sur le terrain militaire. Et en plus elle a gagné haut la main. Elle a gagné, parce qu’elle a adopté une stratégie efficace : le contrôle de l’espace aérien.
Avec un minimum d’avions (70 tout au plus), quelques hélicoptères d’attaque de dernière génération et un dispositif de missiles sol-air et mer-air. Le tout pour un coût assez faible, 4 fois moins que l’investissement américain.
Et, pardon d’être cynique, avec un nombre de victimes civiles à la clé qui est réel, mais qui n’est pas supérieur au nombre de victimes civiles imputables aux frappes occidentales.
Donc la Russie a gagné ! Et elle fait quoi ? Elle fait ce que tous les pays feraient : capitaliser sur cette victoire militaire.
Préserver l’acquis : ses deux bases sur le sol syrien, notamment celle de Tartous, sur la Méditerranée. Mais aussi promouvoir ses ventes d’armes. Et essayer de contrôler, fut-ce indirectement, les futurs gazoducs qui vont passer par le Nord de la Syrie.
Enfin, last but not least, avec ce succès militaire, Moscou est devenu l’interlocuteur indiscutable de tout le monde dans la région : Israéliens, Iraniens, Saoudiens, Qataris, Palestiniens, etc.
Dans le « grand jeu géostratégique », Moscou est, pour l’instant, le principal vainqueur de la guerre en Syrie.
La marionnette Assad contrôle le marionnettiste Poutine
Le problème c'est que Poutine semble avoir bien du mal à contrôler Assad… C’est là en effet où ça se complique pour Moscou.
On a l’impression que ce n’est plus le marionnettiste qui tient la marionnette, mais l’inverse.
En 2015, Poutine a volé au secours d’Assad, mais maintenant qu’Assad est sauvé, il échappe à Poutine et n’a plus qu’une obsession : massacrer tous ses adversaires.
Les événements d’aujourd’hui sont assez révélateurs.
Hier soir, Vladimir Poutine « ordonne »… Vous avez bien entendu, ce sont les termes du communiqué du Kremlin, « ordonne une trêve humanitaire quotidienne à la Ghouta ».
Ça veut dire en résumé : Assad, couché, au pied. Sauf que le chien continue de mordre : nouveaux bombardements ce matin.
Vladimir Poutine est assez intelligent pour le savoir : construire la paix c’est toujours beaucoup plus compliqué que faire la guerre. C’est tout le défi que le président russe doit maintenant relever.
Mais les gouvernements occidentaux seraient mal inspirés de lui faire la leçon, vu les bilans des interventions en Irak en 2003 et en Libye en 2011