C’est un petit point sur la carte du monde. L’île de Taïwan, au Sud-Est de la Chine, fait à peine la taille d’une région française, même si elle compte 24 millions d’habitants.
L’Ukraine est loin : plus de 8000 km.
Mais à Taïwan, tout le monde pense à l’Ukraine. L’île redoute de subir le même sort, d’être à l’Asie ce que l’Ukraine est à l’Europe, avec la Chine dans le rôle de la Russie. Parce que Pékin considère Taïwan comme faisant partie de son territoire.
Plus de 80% des habitants de l’île, dont leur présidente Tsai Ing Wen, rejettent catégoriquement toute idée de rattachement à Pékin.
Et surtout, 70% d’entre eux se disent désormais prêts à faire la guerre pour défendre leur indépendance. Avant les événements de l’Ukraine, ils n’étaient que 40%. C’est dire si l’ambiance a changé.
Le gouvernement a décidé de mobiliser des réservistes. Là encore, 70% de soutien populaire pour cette initiative.
Et à partir de demain, pendant 48h, l’armée taïwanaise va tester sa capacité de réaction face à une simulation de débarquement de l’armée chinoise. Le tout avec des batteries de missiles sol-air et sol-mer.
L’armée de Taïwan, qui compte 160.000 hommes (un chiffre pas très éloigné de celui des troupes ukrainiennes), va notamment se préparer à d’éventuelles offensives chinoises sur les ilots de Kinmen et Xiamen, les plus éloignés de ses côtes principales.
Le ministre de la Défense veut apporter la démonstration qu’en cas d’attaque, la Chine, je cite,
« affronterait la même résistance que la Russie en Ukraine ».
Pékin observe l'Ukraine et attend son heure
Nul besoin d’être complotiste pour examiner l’hypothèse d’une action concertée entre Moscou et Pékin : créer deux zones de conflit simultanées, deux façons de mettre à l’épreuve les Occidentaux.
Cela dit, à court terme, le risque parait limité.
La Chine observe certainement les événements en Ukraine avec la plus grande attention. Pour éviter de commettre les mêmes erreurs que la Russie, cette Russie qu’elle regarde avec un peu de condescendance.
Et Pékin constate, comme tout le monde, que l’aventurisme de Poutine ne conduit pas aux succès rapides escomptés par Moscou.
On va bientôt approcher de la 4ème semaine de guerre, aucune grande ville ukrainienne n’est tombée. La résistance est farouche. Les difficultés logistiques sont multiples. Ça c’est pour le militaire.
Et sur le plan diplomatique, l’agression russe a déclenché une réaction occidentale d’une vigueur inattendue : sanctions économiques fortes et réveil de l’Europe, avec des 27 qui serrent les coudes sur la plupart des sujets.
Avec en plus, par effet en chaines, une déstabilisation économique mondiale dont la Chine se serait bien passée.
Et puis ce réveil de l’Europe laisse une marge de manœuvre aux Etats-Unis pour regarder de l’autre côté de la carte, et donc défendre potentiellement Taïwan.
Tout ça, logiquement, devrait plutôt conduire à réfréner pour l’instant les ardeurs de Pékin.
Une conviction messianique comme en Russie
Ça c’est à court terme. Mais à moyen terme c'est l'inverse. Pékin ne renoncera pas à Taïwan.
D’abord, il faut toujours rappeler que le pouvoir chinois calcule sur le temps long. Il attend son heure pour agir.
Et puis surtout le raisonnement chinois ne varie pas : il n’y a qu’une seule Chine, et Taïwan en fait partie.
Le président Xi Jinping parle même d’une « mission historique » à propos du contrôle de Taiwan. On croirait entendre Poutine à propos de l’Ukraine.
Et puis comme l’Ukraine avec la Russie, Taïwan incarne une menace aux yeux de la Chine.
Une menace politique : l’attraction d’un modèle de démocratie pluraliste.
Et une menace sécuritaire : Taiwan cherche à rejoindre le Quad, le quatuor Etats-Unis / Australie / Japon / Inde qui coopère en matière de défense.
Ajoutons que le pouvoir chinois a évidemment confiance dans sa capacité militaire, amphibie en particulier, pour débarquer à Taïwan.
Et que la Chine, contrairement à la Russie, a plutôt le droit international de son côté : seulement 14 pays reconnaissent Taïwan, qui n’est pas présente à l’ONU. Vu de Pékin, il s’agit d’une affaire intérieure.
Enfin le pouvoir chinois est persuadé que l’Occident est en déclin. Le moment viendra de le défier ouvertement.
On se résume : le président chinois Xi Jinping va sans doute attendre de voir comment tourne l’affaire ukrainienne. Mais il ne va certainement pas laisser tomber ses ambitions sur Taiwan.
Les habitants de l’île ont donc de bonnes raisons de regarder l’Ukraine d’un œil inquiet. Comme un mauvais présage.