On a l’impression d’assister à un bégaiement de l’Histoire : la Russie est en train de déployer depuis plusieurs semaines des forces d’une ampleur sans précédent à la frontière ukrainienne.
Plus de 150.000 hommes, entre 50 et 100 bataillons, disposés progressivement depuis l’été en 4 points en arc de cercle à proximité de l’Ukraine. Et hier Vladimir Poutine a employé un vocabulaire explicitement guerrier en parlant de « possibles représailles militaires ».
L’hypothèse d’une offensive russe en Ukraine, aérienne, voire terrestre ne peut plus être exclue, même si l’Occident a du mal à l’admettre. Tout cela rappelle terriblement le passé soviétique, les chars de l’URSS en Hongrie ou en Tchécoslovaquie dans les années 50 et 60.
Le fait est là : 30 ans après l’éclatement de l’empire, la logique militaire est omniprésente dans cette Russie héritière de l’URSS. La volonté de puissance est centrale : en l’occurrence reconquérir l’Ukraine, ancien joyau de l’URSS.
Ça va plus loin:
- Moscou possède, rappelons-le, plus de 6000 ogives nucléaires (plus que les Etats-Unis) dont des versions toutes récentes du missile Iskander 4 et de sa déclinaison hypersonique, une vraie menace aux portes de l’Europe.
- Le complexe militaro-industriel dicte les arbitrages financiers.
- Les services de renseignement (dont Poutine est issu) et la police politique sont au cœur du pouvoir.
Exactement comme à l’époque soviétique.
La réécriture de l'Histoire
Il n’y a pas que la militarisation pour rappeler l’URSS dans la Russie version Poutine !
La répression de toute forme d’opposition d’abord. Et même plus : le glissement progressif vers l’interdiction de toute pensée alternative. Pousser à l’autocensure. Le propre du totalitarisme. L’ironie de l’Histoire, c’est que la seule opposition à peu près tolérée aujourd’hui en Russie, c’est le parti communiste, un comble !
Ce n’est pas illogique cependant : la période soviétique est glorifiée par Poutine qui voit en l’éclatement de l’URSS, je cite,
« la plus grande catastrophe géopolitique du 20ème siècle ».
Et le corollaire de cette affirmation, c’est la réécriture de l’Histoire. Comme à l’époque soviétique là-aussi : les manuels scolaires sont révisés, les pages noires de l’Union soviétique sont gommées.
C’est le sens du démantèlement en cours de la grande ONG Memorial, célèbre pour son travail de mémoire sur les millions de victimes du Stalinisme.
Il y a d’autres points communs :
- La centralisation du pouvoir, héritage du « centralisme démocratique » communiste, qui avait tout du centralisme et rien de la démocratie ;
- La corruption qui profite aux dirigeants ;
- Et la désignation de l’Occident, comme l’ennemi, incarnation de la décadence !
Le danger de la nostalgie
Est-ce pour autant le retour de l’Union Soviétique 30 ans plus tard ? Vladimir Poutine en rêve peut-être, mais non. Il y a au moins trois différences.
La première, c’est que le pouvoir russe d’aujourd’hui n’a pas d’idéologie. Il n’y a pas de corpus de pensée, ou d’habillage qui viserait officiellement à créer un nouvel homme dans une société prétendument égalitaire. Zéro projet politique, si ce n’est la puissance pour la puissance.
La deuxième différence, c’est que l’empire soviétique est mort et enterré. Alors oui, c’est vrai, il y a des relents : l’occupation de la Crimée, la satellisation de la Biélorussie, l’influence dans le Caucase, notamment en Géorgie. Et donc ces velléités en Ukraine. Mais tout cela reste modeste, rapporté à la taille de l’ex URSS. L’empereur est nu, recroquevillé sur la Russie.
Enfin la troisième différence, c’est que le monde est devenu multipolaire. La Russie n’est plus dans un simple face à face avec l’Occident. Il y a la Chine aux premières loges. Et plusieurs forces régionales comme la Turquie.
Cela dit, attention, ça ne rend pas la situation moins dangereuse, au contraire.
D’une part, cet éparpillement de la puissance multiplie les zones de tension. Et la Russie peut vouloir en profiter : attaquer en Ukraine en misant sur le fait que les Occidentaux fermeront les yeux parce que davantage préoccupés par les menaces chinoises sur Taiwan ou par le nucléaire iranien.
D’autre part, la nostalgie de la grandeur soviétique est un moteur déterminant chez Poutine, presque une obsession. Même si c’est une cause perdue. Donc là on peut entrer dans l’irrationnel. Et dans ce cas, le pire est possible.